L’avenir du partage des données de santé en Belgique

Juil 16, 2025 | News

Contexte général

Cette matinée de réflexion stratégique, organisée par Abrumet, a rassemblé un ensemble d’acteurs du secteur de la santé, du numérique, des institutions publiques et de l’industrie. L’ambition de cette initiative était double : d’une part encourager la collaboration entre des parties prenantes qui n’ont pas toujours l’occasion de se rencontrer ; et d’autre part, amorcer une réflexion collective sur les enjeux liés à l’interopérabilité des logiciels de santé, à l’utilisation des données de santé (dans le cadre du European Health Data Space (EHDS)), et à la structuration d’un écosystème numérique efficient, éthique et collaboratif, centré sur les besoins réels des utilisateurs, qu’ils soient patients ou professionnels. L’un des fils rouges de la matinée fut l’entrée en vigueur progressive du règlement européen EHDS, dont les implications techniques, réglementaires et organisationnelles s’annoncent majeures pour la Belgique et tous les Etats membres.

Les implications de l’EHDS

L’EHDS, adopté en mars 2025 par la publication du Règlement, impose aux logiciels de santé des normes strictes en matière d’interopérabilité et d’usage des données de santé.

L’Europe mettra à disposition des Etats membres certains services gratuits et un environnement de tests (open source) avec une reconnaissance mutuelle des conformity tests.

Il a été rappelé qu’à ce jour, la Belgique, par ses choix stratégiques antérieurs est bien positionnéeen matière de maturité numérique en Europe, mais doit consolider ses acquis. Par exemple, elle répond déjà à 95 % des exigences des standards européens concernant les prescriptionsélectroniques. La plateforme eHealth (M. Robben) est le point de contact national à ce sujet.

Les dates clés

  • Mars 2027 : Publication par laCommission européennedes standards communs d’interopérabilité imposés aux logiciels
  • 2028 : Un règlement complémentaire est attendu concernant le portefeuille digital du citoyen
  • Mars 2029 : Les logiciels de santé non conformes aux exigences ne pourront plus être utilisés

Principaux enjeux pour le projet EHDS

Gouvernance & vision stratégique

  • Besoin d’un plan stratégique à long terme, coordonné nationalement et au niveau européen
  • Les autorités doivent encadrer sans freiner l’innovation
  • Co-construction d’un modèle qui respecte la réalité des pratiques et l’écosystème belge
  • Crainte de monopoles si la régulation n’est pas stricte

Cadre juridique, éthique & confiance

  • Opt-out pour le partage des données : un droit essentiel
  • Besoin d’un cadre juridique plus clair et plus exigeant
  • Méfiance des patients et professionnels vis-à-vis de l’usage des données : transparence attendue de l’APD (Autorité de Protection des Données)

Cohérence européenne vs spécificités locales

  • Nécessité de respecter les spécificités locales/régionales (langue, pratiques, législation)
  • Interopérabilité au service du patient, non comme une fin en soi
  • Intégration cohérente des standards européens (SNOMED, HL7)
  • Fragmentation du marché logiciel européen, fragilité face aux acteurs chinois et américains dominants

Réalités du terrain & obstacles pratiques

  • Multiplicité de systèmes hétérogènes dans les hôpitaux
  • Accès aux données encore complexe pour les prestataires
  • Difficulté d’avancer de façon concertée (ex : VIDIS pas utilisépar les pharmacies)
  • Crainte que les usages secondaires (recherche, registres) alourdissent la charge des professionnels
  • Besoin de montrer la valeur ajoutée pour les professionnels

Initiatives & retour d’expérience

La réprésentante du SPF Santé a tenu a rassurer les participants : tous les pays européens font face aux mêmes défis, et la Belgique dispose d’une base solide pour avancer.

Du côté de l’INAMI, on rapelle la complexité des transformations et l’application progressive des règlementations : il a fallu près de neuf ans pour généraliser la prescription électronique. La fragmentation actuelle des systèmes, tant entre Régions qu’entre institutions, reste un frein majeur à la mise en oeuvre concrète du EHDS. Une coordination nationale forte est indispensable.

Les voix du terrain

Les besoins exprimés ont reflété la diversité des points de vue présents lors de la matinée.

Pour les patient

Les représentants d’associations de patients et de la médecine générale ainsi que le SPF Santé ont rappelé l’importance de replacer tous les patients au centre du système de santé numérique.

Un besoin fort a été exprimé pour un dossier de santé complet, structuré et accessible, permettant à chaque citoyen d’être acteur de sa santé. Cela suppose des solutions simples, centrées sur l’utilisateur, et non uniquement conçues pour le traitement technique des données.

Ils réclament également plus de transparence, un contrôle effectif des usages de leurs données et la possibilité de contribuer eux-mêmes à leur dossier. Ces attentes vont de pair avec l’exigence d’une autorité de contrôle totalement indépendante. Les utilisateurs doivent comprendre et approuver l’usage de leurs données primaires et secondaires.

Enfin, l’équité dans l’accès aux soins a été soulignée comme une priorité. Dans cette optique, l’utilisation unique du patient, harmonisé avec des systèmes existants comme le numéro BIS, a été citée.

Pour les prestataires de soins

Les professionnels de santé ont insisté sur le fait que les standards techniques, aussi essentiels soient-ils, ne suffisent pas à
garantir une transformation efficace du secteur. Il ne s’agit pas uniquement de définir des normes, mais bien de les comprendre, les implémenter correctementet les maintenir dans le temps, en tenant compte de la réalité des pratiques cliniques. Une uniformisation rigide des soins estperçue comme irréaliste : une large part de l’acte médical repose sur la relation de confiance entre le praticien et son patient, qui ne peut être standardisée. À ce titre, les outils numériques ainsi que l’IA doivent venir en appui, sans interférer avec cette dimension humaine du soin.

Le besoin d’outils de qualité, simples etergonomiques a été largement exprimé. L’encodage des données doit être facilité, car « le médecin n’est pas un encodeur de données » : il doit pouvoir se concentrer sur les données primaires utiles au suivi du patient.

Enfin, une stratégie éducative d’accompagnement est jugée indispensable. Cela passe pardes programmes de formation adaptés, permettant aux professionnels de la santé demaitriser les outils numériques.

Pour les éditeurs de logiciels

Les éditeurs de logiciels ont partagé une vision prudente entre obligations de conformité, contraintes de développement et opportunité stratégique. Ils rappellent queles exigences réglementaires doivent être accompagnées d’un cadre clair, stable, concerté et avec des régulateurs plus stricts sur les standards.

Ils plaident pour une meilleure structuration des données et pour des échanges plus multidisciplinaires. Une approche concertée avec les autorités est indispensable afin d’éviter des implémentations lourdes et coûteuses, surtout lorsqu’elles concernent des fonctionnalités peu utilisées ou non généralisées.

Certains souhaitent renforcer la coopération entre logiciels, malgré un contexte concurrentiel.

Ils expriment en parallèle une crainte croissante vis-à-vis de la pression concurrentielle internationale, notamment face à la puissance des grands acteurs technologiques noneuropéens (GAFAM, Chine), dans un marché fragmenté.

Enfin, ils appellent à une mutualisation des efforts de développement en suggérant des formes de collaboration inter-éditeurs, pour éviter les redondances et accélérer l’innovation.

Facteurs de succès identifiés

Le succès du virage numérique en santé repose sur plusieurs piliers.

Outils numériques & Intelligence Artificielle

  • Les outils doivent être simples, automatisés, interopérables et ergonomiques
  • L’IA est un levier, pas un objetcif : elle peut réduire la charge administrative (transcription automatisée des consultations, structuration des dossiers)
  • La qualité des outils doit permettre un gain de temps réel et visible pour les professionnels

Gouvernance, transparence & confiance

  • Besoin de référentiels partagés et communs, pilotés par une autorité légitime et à l’écoute
  • Assurer une transparence sur l’usage des données de santé
  • Mettre en place un contrôle externe indépendant sur les traitements de données

Approche centrée sur l’humain

  • La technologie doit servir la relation soignant-patient, pas la remplacer
  • Trouver un équilibre entre structuration des données et expressions cliniques libres
  • Former les professionnels, les patients et équipes IT pour renforcer les compétences numériques
  • Adopter une démarche fondée sur la conviction et l’adhésion, pas la contrainte
  • Solidarité et collaboration entre acteurs pour éviter l’isolement technologique de certaines structure

Conclusion

Une matinée riche en échanges, soulignant la complexité du défi à venir. Cette matinée a mis en lumière à la fois les défis techniques, éthiques et organisationnels du virage numérique dans le secteur de la santé. Tous les acteurs sont d’accord que l’ambition belge doit atteindre le niveau européen.

Importance d’avoir une autorité attentive aux besoins, d’imposer des normes interopérables, de la pédagogie et d’avoir une feuille de route claire.

Le débat a montré un consensus clair sur l’importance de collaborer, d’agir avec pragmatisme, de former et d’accompagner plutôt que de contraindre.

“Sortir de l’isolement technologique par la collaboration et la confiance”

Axes stratégiques pour Abrumet 

 Concertation 

  • Organiser régulièrementdes réunions/ groupe de travail de concertation multi-acteurs.
  • Inclure prestataires, patients, autorités, éditeurs. Assurer une neutralité de modération.

Mutualisation

  • Organiser des hackathon sconjoints entre éditeurs pour résoudre des problèmes communs.
  • Suivre les taux de compatibilité des logiciels avec les standards européens.
  • Identifier les freins éventuels (techniques, organisationnels, financiers).

Formations

  • Développer des modules de formation en ligne pour les professionnels de la santé et pour les patients.
  • Partenariat avec les universités, asbl…